dimanche 28 avril 2013

La fin des templiers par Rudy Cambier, auteur et philologue, spécialiste du Moyen Age.



Or, la verge est aussi le terme par lequel on désignait l’anneau que portaient au doigt abbés et prieurs, en référence à la verge de discipline. Et les Branches ? Cambron est une abbaye cistercienne, au Moyen-Âge on ne disait guère les Cisterciens mais l’Ordre des Cistiels, c’est-à-dire très littéralement : de l’Ordre des roseaux ! Nous disons aujourd’hui l’Ordre de Cîteaux. En plus, avec son original réseau d’abbayes-mères, d’abbayes-filles, petites-filles, arrière-petites-filles, l’organigramme de l’Ordre cistercien prenait la figure de la ramée d’un arbre et les Cisterciens eux-mêmes représentaient et symbolisaient leur Ordre par le dessin d'un arbre. La verge en main mise au milieu de Branches désigne donc un abbé ou un prieur cistercien.

Et maintenant regardez ceci tiré encore du manuscrit du moine Noël (photo de Jean-Charles de La Hamaide) :





Six poissons nagent de part et d’autre d’un arbre planté et en feuilles. Ce sont les armes de Cambron. De l’eau mouille le limbe, c’est-à-dire le bord de l’écu en langage héraldique, le pied et le tronc de l’arbre. C’est encore plus évident quand on sait qu’en ancien français, le mot pied désignait souvent aussi le tronc d’un arbre ! Ce vers De londe il moulle et le limbe et le piednomme l’abbaye de Cambron en langage héraldique,exactement de la manière que le ferait un héraut d’armes dans un tournoi.

L’homme qui déploie un tel génie dans le maniement des mots, l’homme capable de telles acrobaties verbales a droit à notre admiration et à notre respect. Toutes les Centuries sont déjà là dans ces quelques mots : il y a ce qui doit être vu et ce qui est caché. Les Centuries sont un poème de douleur, y compris, pour Yves de Lessines, la douleur d’être ce qu’il est et qui explique au moins une partie de son génie, car les choses de l’esprit sont le refuge où s’oublie un peu le chagrin du corps tourmenté.

Ayant parlé de l’homme, il est temps de revenir à son histoire.

À partir de 1284 il devient tout naturellement l'ingénieur, l'architecte et l'astronome de l'abbaye pour le compte de laquelle il dirige plusieurs très grands chantiers (entre autres, assèchement de polders et construction d'une église) en même temps qu'il écrit des livres de théologie et de science. Les moines l’élisent prieur en 1315 et l’élèvent à la dignité d’abbé en 1328. Il décède le 9 mars 1330.

Yves de Lessines n'est donc en aucune manière lié à l'Ordre du Temple. En revanche, il sera un acteur majeur dans les avatars du "miracle de la Vierge de Cambron", miracle dont il est question dans les Centuries. Voici une illustration qui tourne autour de ces événements : le personnage mitré, vers la droite, juste sous la flèche de l'abbatiale, est l'abbé Yves de Lessines.


          




Document transmis par le Professeur Jean-Philippe Lahouste.


Passons au deuxième homme du triumvirat. Né vers 1250, Jacques Pluquiel ou Plusquiel, dit de Montigny ou Montignies d'après son lieu d'origine près de Valenciennes, est un moine modèle en ce sens qu'on ne trouve rien à en dire. Il fut cellérier (économe) de l'abbaye de Cambron avant d'être élu abbé à la fin de 1293 : c'est un gestionnaire et pas du tout un imaginatif.

Un seul incident, mais de taille, a marqué sa carrière : en 1308, quelques mois après l'affaire du Temple, il fut forcé – par qui ? sous quelles pressions ? – de démissionner de son poste d'abbé. Le fait en soi était très rare, mais fait encore bien plus rare, réduit à l'état de simple moine il obtint de pouvoir demeurer dans son abbaye jusqu'à sa mort en 1315, alors que, pour des raisons évidentes, lorsqu'on dégradait un ecclésiastique, on l'envoyait toujours dans une autre maison ! Autre fait fort peu banal, sans autre titre que simples bourgeois forains de Condé, un bourg fortifié au bord de l'Escaut, son père et sa mère furent inhumés côte à côte au milieu du cloître de Cambron. À la place la plus glorieuse qui soit après le chœur de l’abbatiale !

L'inhumation d'un Cistercien est en elle-même une cérémonie peu ordinaire : le cadavre du moine dans son habit est cloué sur une planche et on descend le moine dans la fosse, la face contre terre. Nul ne sait pourquoi, mais au lieu d'être mis à la place imposée par la règle c’est-à-dire dans le cimetière des moines, Jacques de Montigny fut enterré comme cela, la face en bas, mais sur les cercueils de ses parents ! Du jamais vu ! Et le fait est noté dans les Centuries ! Dans cette affaire, rien n'est normal et qu'est-ce que Nostradamus vient faire là-dedans au milieu du 16ème siècle, 240 ans après l'événement et à une époque où il ne pouvait pas le savoir puisque ceci ne fut remis au jour qu'au milieu du 17èmesiècle par le moine Marc NOËL et noté dans son cahier resté manuscrit, puis signalé par l'abbé Le Waitte en 1672 dans une publication en latin plus que confidentielle !

Henri Pluquiel, frère cadet du précédent, embrassa la carrière des armes en prenant du service chez le duc de Brabant. De trop petite extraction pour seulement réussir à vivre un peu décemment dans ce milieu-là, il s'engagea dans les rangs du Temple et arriva en Orient en 1278 ou 1279. Il assista à l'effondrement final de l’Orient Latin et fut un des rares rescapés de la prise d'Acre par les Musulmans (1291). Gravement blessé (il en devint borgne et une grande cicatrice lui barrait le côté gauche du visage), à bout, à deux doigts de trépasser, il parvint à rejoindre Chypre où il fut soigné par une femme templière "syrienne". Rentré en Europe, on lui assigna diverses missions, entre autres celle de Visiteur de Flandre peu après les événements de mai 1302, les Mâtines Brugeoises.

Nul ne sait où, quand, pourquoi et de qui il reçut le sceau de sauvegarde de l'Ordre du Temple. Porteur d'un signe qui lui conférait le pouvoir absolu, il ne pouvait le dire à personne et même pas le laisser deviner … La hiérarchie de l’Ordre – c’est-à-dire le Maître Jacques de Molay – l’avait envoyé en Flandre pour sévir contre les Templiers qui avaient incité les Brugeois à se révolter et à massacrer les occupants français en mai 1302. Faisant litière des ordres reçus, Henri se rangea du côté des insurgés. Avec les Templiers flamands d'Ypres, il participa à la bataille de Courtrai, dite bataille des Éperons d’or, et il joua un rôle déterminant dans la défaite française. Pour livrer cette bataille, les Communiers flamands s'étaient adossés au mur du couvent de Groeninge … dont l'abbesse était Marie Desprez, la sœur d'Yves de Lessines ! Étonnez-vous qu'on parle beaucoup de cette bataille quasi-mythique dans les Centuries

Au début de l'année 1307, l'Ordre du Temple est sûr que son existence est désormais menacée par Philippe le Bel. Or, quelque septante ou septante-cinq ans plus tôt, suite à la persécution des Templiers de Naples et de Sicile par l'empereur Frédéric II Hohenstaufen, une organisation secrète de sauvegarde a été créée à l'intérieur de l'Ordre. Le principe en était génialement simple : tout     Templier était tenu d’obéir comme un esclave à un signe dont nul ne savait qui en était le détenteur, un anonyme parmi des dizaines de milliers. Sauf vantardise du détenteur, il était donc... (à suivre).

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