mercredi 23 janvier 2013

La déesse du Sycomore.

Les chemins de l’au-delà



Senedjem et son épouse Iineferti parcouraient les chemins lumineux de l’au-delà depuis un certain temps déjà. Ils avaient déjà affronté de multiples périls dans la Douat, mais leur route s’annonçait encore bien longue pour atteindre les champs d’Ialou où ils pourraient vivre éternellement dans l’abondance.
Soudain, ils virent dans la lumière se dessiner la silhouette d’un arbre, un grand et majestueux sycomore. Nul part, de leur vie passée dans la vallée du Nil, ils ne virent un tel arbre ! Haut d’une quinzaine de mètres, le sycomore avait un tronc blanchâtre surmonté d’une luxuriante frondaison étalée. Il portait d’innombrables figues amassées en grappes devenant rouges à maturité.
Aussi, intrigués autant que fascinés, ils s’approchèrent respectueusement du sycomore. Lorsqu’ils touchèrent l’écorce qui frissonnait comme animé d’une énergie mystérieuse, une déesse leur apparut, émergeant soudainement du tronc de l’arbre. Elle était d’une incroyable beauté, son corps élancé et gracieux se confondait avec ce majestueux végétal. Une douce lumière et un parfum suave baignait les alentours.
Elle se pencha vers les deux voyageurs de l’au-delà et leur tendit une aiguière contenant l’eau pure et un plateau garni de pains et de gâteaux. Après s’être rafraîchis et rassasiés, Senedjem et Iineferti remercièrent la déesse du sycomore en récitant quelques prières et formules magiques qui leur permirent de poursuivre leur périple sur les beaux chemins de l’Occident.

Déesse du Sycomore
Scène provenant du tombeau de Senedjem (TT 1) – XIXe dynastie, Deir el-Médineh)
Cette vignette illustre le chapitre 62 du Livre des Morts qui nous enseigne que nous pouvons " boire de l’eau dans la nécropole ". Cette eau pure et vivifiante est celle de la crue annuelle du Nil par laquelle " tous les pères et toutes les mères " reviennent féconder le pays afin qu’il puisse revivre éternellement. Cette eau miraculeuse est contenue dans un vase rituel (hes) dont la déesse du Sycomore se sert pour verser le précieux liquide sur les mains tendues du défunt.
La bienveillance de cette déesse, que l’on assimile généralement à Nout ou parfois à Hathor, fait ainsi référence à son aspect maternel vis-à-vis du voyageur de l’au-delà.
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sycomore photographié à Assouan (photo : Méryrê)

Il est assez étonnant, dans notre conception occidentale, que les défunts perçoivent les mêmes besoins que les vivants. Dans les croyances égyptiennes, la mort ne représentait qu’une étape transitoire, certes dangereuse, mais nécessaire pour accéder à la vie éternelle. Le défunt quittait ce monde « vivant » car il avait reçu tout ce dont il était nécessaire pour accomplir l’ultime voyage. Le corps préservé par la momification avait subi le rituel « d’ouverture de la bouche » qui consistait à réactiver symboliquement la bouche, les yeux et les oreilles.
Ainsi pourvu de tous ses sens, le voyageur de l’au-delà pouvait à nouveau percevoir le monde qu’il allait parcourir et profiter de toutes les nourritures célestes qui lui seraient offertes et qui étaient censées lui procurer une vitalité exceptionnelle afin qu’il puisse vivre à jamais.


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Ôtés du cadavre au moment de la momification, les principaux organes étaient conservés dans des récipients particuliers connus sous le nom de « vases canopes ».  Ce nom fut introduit par des antiquaires au XVIIIe siècle pour désigner les récipients contenant les viscères momifiés dont l’aspect était semblable à une effigie d’une forme particulière d‘Osiris adorée à Canope, une ville du Delta oriental.
La mort, ou plutôt la préparation de la vie dans l’au-delà, occupait une place prépondérante dans la culture de l’Égypte ancienne. En effet, la vie après la mort n’était possible qu’à la condition que le ka (double immatériel de l’être) puisse revenir dans un corps bien conservé et reconnaissable. La conservation du corps charnel (le khet) constituait donc une partie essentielle des rites funéraires. C’est la raison pour laquelle les anciens égyptiens pratiquèrent la momification depuis l’Ancien Empire jusqu’aux premiers siècles de l’ère chrétienne.

Un problème se posa rapidement : en effet, la décomposition d’un corps commence par la putréfaction des viscères, milieu dans lequel les bactéries prolifèrent. Ils fallait donc les ôter rapidement du cadavre mais ils étaient cependant une composante importante de l’individu. Le pragmatisme égyptien a rapidement résolu ce problème : isoler les viscères du corps, les momifier séparément et les conserver dans des récipients placés aux quatre angles du sarcophage.

Lors du processus de momification, les reins, mais surtout le cœur, considéré comme le siège de la pensée, de la conscience et de la mémoire restent en place dans le corps. Il s’agit de l’organe le plus important puisque sa pesée, lors du jugement par le tribunal divin, déterminera la survie du défunt dans l’au-delà. Par contre, le foie, les poumons, l’estomac et les intestins étaient extraits et momifiés indépendamment. Le cerveau, quant à lui, inutile aux yeux des Égyptien, était réduit en bouillie pour être ôté de la boîte crânienne.
L’un des plus anciens exemples connu de ces récipients est celui trouvé dans la tombe de la reine Hétèphérès, épouse de Snéfrou et mère de Khéops (IVe dynastie). Il se présentait comme une cuve carrée, en pierre, divisée en quatre par des cloisons qui était clos par une simple dalle.
Dès le Moyen Empire, les viscères sont répartis dans quatre vases individualisés dont le bouchon reproduit les traits du défunt éternellement jeune.
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Vases canopes à têtes humaines (musée du Caire)
À partir  la XIXe dynastie (Nouvel Empire), ces « portraits » sont remplacés par les images des Quatre fils d’Horus.  Associés aux quatre régions du monde, ils rappellent le rassemblement des lambeaux du corps d’Osiris dispersés à travers l’Égypte. Ainsi, leur présence à proximité de la momie, évoque la réunification des forces vitales du dieu sur son enveloppe matérielle, condition essentielle du succès de son existence post mortem. Un de ces fils à un visage humain tandis que les trois autres ont des têtes animales (babouin, faucon et chien/chacal). Chaque vase est également sous la protection d’une déesse et reçoit la garde d’un viscère précis.
Pour les enterrements de moindre qualité, les organes sont replacés dans le corps après avoir été enveloppé de tissus, chacun avec l’image correspondante (en théorie !) du Fils d’Horus, souvent confectionné en cire d’abeille.  Les embaumeurs ayant parfois fait preuve d’une certaine négligence dans la préparation de ces « paquets canopes » qui ne sont pas toujours en relation avec le génie qui leur est attribué d’ordinaire. 

À la fin du Nouvel Empire, cet usage devait être étendu à la plupart des momies mais on a encore retrouvé ultérieurement des vases canopes factices pleins (pseudo-canopes) qui ressemblent à de grosses quilles mais toujours à l’effigie des fils d’Horus.
La combinaison des Fils d’Horus et des quatre déesses forme un réseau protecteur autour des viscères. Les premiers, sont responsables de la préservation matérielle des organes mais incarnent également les fonctions vitales inhérentes aux viscères. La présence des enfants divins, associés aux points cardinaux, symbolisent la revivification du mort qui a retrouvé la totalité des éléments qui le composait, mais a aussi drainé toute son énergie dispersée aux quatre coins du monde.  Toute reconstitution individuelle prend une dimension universelle. Le défunt lie ainsi son destin à Osiris mais aussi avec l’Égypte elle-même puisque le rassemblement des membres du dieu étant en relation symbolique avec l’unité du pays.  La déesse-réceptacle, représentée par le corps du récipient, veille sur le défunt qui est en « elle » par le biais de ces viscères assimilés à l’un des Fils d’Horus, dont elle assume ainsi la « gestation ».
Les récipients, en pierre ou en terre cuite étaient parfois placés dans un coffret de bois décoré de vignettes représentant des scènes mythiques et de formules de protection.
 
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Vases canopes en pierre des quatre Fils d’Horus et leur coffret (Musée du Caire)

Fils d’Horus
Forme du bouchon Divinité protectrice Organe Point cardinal
Hapy Babouin Nephthys Poumons Nord
Douamoutef Chacal Neith Estomac Est
Amset Homme Isis Foie Sud
Qebesenouf Faucon Selkis Intestins Ouest
texte et photos (musée du Caire) : Méryrê
Sources Egypte vivante?

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