mardi 20 novembre 2012

Traditions et légendes de Belgique (4 à suivre).

7 février. (Cyclamen coum.) Saint Romuald; saint Richard; saint Theodore. A Binche et à Lobbes se chôme la fête de saint Amolvin, évêque et abbé de l'abbaye de Lobbes. A Comines se célèbre la fête de saint Chrysole, patron de l'église, à qui l'on attribue la fondation du premier sanctuaire de Marie dans les Flandres. Ce saint, natif d'Arménie, accompagna saint Piat et saint Quentin dans leur mission apostolique en France et en Belgique. De Tournai il se rendit dans la Flandre pour y prêcher l'Évangile, mais les païens lui ayant coupé le sommet de la tête en dérision de sa tonsure il mourut à Vrelenghem, d'où il marcha, tout mort qu'il était, jusqu'au bourg de Comines, situé à deux lieues de là sur la rivière de la Lys. Son corps y fut élevé par saint Éloi, et y est honoré encore de nos jours dans l'église collégiale, érigée primitivement sous l'invocation de Notre-Dame [34]. * * * 8 février. - (Mnium androgynum.) Saint Jean de Matha; saint Mengold. Saint Mengold, second patron de la ville de Huy, où une église est érigée sous son invocation, était comte de Huy et fut massacré en 9O, par les seigneurs de la cour, dont il avait entrepris de réprimer les vices. Ses reliques se conservent ainsi que celles de plusieurs autres saints Huttois dans la belle église de Notre-Dame [35]. La fête de saint Jean de Matha a donné naissance à l'habitude d'appeler les beaux jours qui en Belgique ordinairement ont lieu vers cette époque, « l'Été de Saint-Jean. » * * * 9 février. (Narcissus romanus.) Sainte Appoline, patronne contre le mal aux dents [36]. Quoiqu'il n'y ait que huit églises dans toute la Belgique, dédiées à sainte Appoline ou Apolonie, il existe peu de villes qui ne possèdent au moins un autel consacré en l'honneur de cette sainte, et sa fête donne lieu à plus d'un usage particulier à la Belgique. A Anvers on vend dans l'église des Prédicateurs de petits cordons ou fils de soie rouge, que l'on attache au cou pour se garantir des maux de dents. A Bruxelles se conservait autrefois, dans l'église des Augustins, une dent de sainte Appoline qui, d'après la croyance populaire, avait la vertu de guérir du mal de dents en s'en frottant la bouche, et qui durant l'octave de la fête de cette sainte attirait une grande foule de fidèles en cette église [37]. A Louvain, où des reliques de sainte Appoline se conservent dans la belle église du grand Béguinage, la même cérémonie a encore lieu de nos jours, et la fête de la sainte est un véritable jour de jubilation pour les habitants de la ville. On l'appelle « Pottekens markt » foire aux pots, parce qu'au Béguinage et dans les rues adjacentes on voit de longues files de boutiques où ne se vendent que des pots et des joujoux d'enfants en argile [38]. A Turnhout l'ancienne chambre de rhétorique « De Heybloom, » la Bruyère, célébrait la fête de sainte Appoline, sa patronne. Cette chambre de rhétorique, qui s'appelait aussi(( Sainte Appolonia-gilde e se distinguait par son zèle pour l'Église. Personne ne pouvait en faire partie qui ne fût pas connu pour bon catholique. Aux processions les membres portaient de longs bâtons décorés de branches de bruyère. Dans les diocèses de Gand et de Tournai on célèbre ce jour la fête de saint Ansbert ou Aubert, archevêque de Rouen. Accusé faussement par quelques malins, il fut exilé et se retira dans le monastère de Hautmont, en Hainaut, où il mourut le 9 février 695. Son corps fut transporté à l'abbaye de Fontenel, dont il avait été l'abbé, mais plus tard, on le transporta à Boulogne et en 944, époque de l'invasion des Normands, au couvent de Saint-Pierre à Gand, où il est honoré encore [39]. * * * 10 février. (Daphne mezereum.) Sainte Scholastique; saint Jean-Guillaume, ermite. Ce vénérable anachorète brabançon est le fondateur de l'ancienne abbaye de l'Olive, dont on voit encore les restes à peu de distance des ruines du château et dans le bois même de Mariemont, près de Binche, en Hainaut. Ayant mené une vie déréglée dans sa jeunesse, Jean-Guillaume s'était retiré, par esprit de pénitence, dans l'abbaye de Chénailles, près de Vervins; il la quitta quelque temps après, entraîné par ses passions. Mais Dieu, dit la légende, lui donna un avertissement qui le releva et il vint habiter dans un endroit près de Morlanwelz, que l'on nommait le Champ du Potier. » Il y bâtit, avec des branches d'arbres, un petit ermitage où il vécut longtemps ignoré, se livrant à des exercices pieux et ne prenant d'autre nourriture que des fruits et des racines sauvages; il poussait même l'austérité de sa pénitence jusqu'à marcher comme les animaux de la forêt, si l'on en croit les légendaires. Plus tard, la veuve d'Eustache de Rœulx, dame Berthe, ayant connu la réputation du pieux anachorète, lui accorda la permission de choisir dans son domaine un emplacement qu'il pourrait cultiver et dont les produits serviraient à ses besoins. Il se livra donc assidûment à la culture d'un champ, en même temps qu'il adressait au ciel ses ferventes prières, et l'ancienne légende raconte que dans ce champ cultivé par ses mains il recueillit trois espèces différentes de grains bien qu'il n'y eût semé que du seigle. Jean de Béthune, évêque de Cambrai, informé de la perfection du saint ermite, lui conféra par degré tous les ordres jusqu'à la prêtrise. Après son ordination, Jean-Guillaume entreprit la construction d'une église en pierres, avec les largesses des fidèles, sur un terrain qui lui fut concédé par la dame Berthe et son fils. L'édifice achevé, des religieux de l'ordre de Saint-augustin sollicitèrent la faveur de s'y établir, sans pouvoir l'obtenir de l'ermite qui s'adressa à l'abbesse de Fontenelle. Celle-ci lui envoya quelques religieuses, mais le pays ne leur convenant pas, elles reprirent le chemin de leur monastère. Quelque temps après, survint une famine qui désola le pays. Le Seigneur, dit la légende, consola son serviteur dans son extrême misère et lui envoya du ciel un pain qui le rassasia. A la fin l'ermite vit aussi accomplir son projet à sa demande, sept religieuses de Moustier-sur-Sambre vinrent se ranger sous sa direction; l'institution fut incorporée à l'ordre de Citeaux, une abbesse y fut élue selon l'usage, et l'endroit, qui auparavant s'appelait simplement « l'Ermitage, » reçut le nom de l'abbaye de « l'Olive » (1220 ou 1240). Nombre d'hypothèses ont été faites sur l'origine de ce nom. L'une d'elles le fait venir de la vertu qu'on attribuait, pour la guérison des ulcères, à l'huile d'olive qui se trouvait dans la lampe suspendue devant l'image de la sainte Vierge ce qui attirait beaucoup de monde à l'église du monastère. Le fondateur de l'abbaye mourut en 1240, le dix février, à l'âge de 66 ans, et fut inhumé dans l'église du monastère. L'abbaye obtint, en 1245, par une bulle du pape Innocent IV, de grands privilèges et subsista jusqu'à la révolution française qui l'anéantit avec tous les couvents du voisinage [40]. Le même jour les religieux dits Guillelmites ou Guillemins célébraient autrefois la fête de leur fondateur saint Guillaume de Malaval qui mourut le 10 février 1157. Après la mort de ce saint, son disciple Albert et un médecin nommé Renaud s'appliquèrent à pratiquer ses maximes, de pieux personnages se joignirent à eux et ils fondèrent un ermitage sur le tombeau de leur vénérable maître. Telle est l'origine de l'ordre des Guillemins ou Guillelmites qui se répandit rapidement en Italie, en Allemagne, en France, et dans les Pays-Bas. Les religieux jeûnaient pour ainsi dire continuellement, allaient nu-pieds et portaient un habit blanc. Ils s'établirent en 1269 à Nivelles [41]. Outre ce couvent de Sainte-Catherine à Nivelles, les Guillelmites avaient encore en Belgique la maison du Val-Sainte-Marie à Wallincourt, fondée en 42; la maison de Nazareth à Peene, diocèse d'Ypres, fondée en 1261 ; la maison du Mont-Notre-Dame, à Flobecq, fondée en 1283 ; celle de Sainte-Marie de la Wastine, à Biervliet ; celles de Saint-Ursmar à Alost; de la Sainte-Trinité, à Beveren; de La Motte Notre-Dame, à Liége et de Bernaphay ou Bernardfagne, dans le Condroz [42]. A Liége le cercle artistique célèbre depuis quelques années, ce jour-là, l'anniversaire du jour de naissance de Grétry par une grande fête musicale. * * * 11 février. (Primula verna rubra.) Saint Adolphe; saint Désiré; saint Sévérin; saint Védaste. Saint Désiré, en wallon saint D'siré est le patron de Latinne, paroisse du doyenné de Hannut dans le diocèse de Liége; saint Védaste celui d'Houpperdingen, village situé près de Looz dans le pays de Limbourg. * * * 12 février. (Anemone hepatica.) Sainte Eulalie; saint Modeste. Le jeudi avant le carême s'appelle en quelques endroits « vettendonderdag, e jeudi gras, comme en France, tandis que dans d'autres localités on désigne de ce nom le jeudi avant le jeudi saint. La dénomination de « vetten, » gras, provient de ce que c'était un jour gras par excellence, parce que d'ordinaire le carnaval y prenait son commencement. Dans le seizième siècle on promenait ce jour-là dans les rues de la ville d'Anvers un grand bœuf qui, en 171, pesait 33 quintaux. A Paris cet usage s'observe encore. Les pères de l'ancien hospice de Postel, près de Turnhout, qui dans la suite se changea dans l'abbaye de ce nom, distribuaient autrefois le jeudi gras une quantité énorme de grains et de pains [43]. Cet hospice, exclusivement destiné à la bienfaisance, ne recevait pas seulement tous les voyageurs pauvres, qui se présentaient, mais il était aussi une vraie providence pour tous les indigents des villages environnants, qu'il secourait de nourriture, de vêtements, et d'argent. Un vieux chroniqueur raconte que quelquefois plus de 4,000 pauvres se rendaient dans une seule journée à Postel et ne le quittaient pas sans avoir éprouvé la charité des bons Pères. Il n'est pas étonnant que l'hospice reçût le surnom de « celeberrimum hospitale, » l'hospice le plus célèbre. Mais il n'est pas étonnant non plus, que les religieux, pour pouvoir continuer leurs aumônes, comme d'habitude, furent obligés, en 1600, d'implorer le secours du gouvernement. Un rescrit de l'archiduc Albert et de l'infante isabelle, son épouse, en date du 9 septembre 1617, leur assigna des fonds et ordonna que l'hospice devrait à l'avenir distribuer deux fois par an, le jeudi gras et le jeudi saint, des pains et des grains à tous les pauvres des environs. Mais les pauvres qui se présentaient aux jours fixes à la porte de l'hospice étaient en si grand nombre, que les Pères se voyaient hors d'état de satisfaire à toutes les demandes, et résolurent d'envoyer vers l'époque des deux distributions de l'année une quantité fixe de pains appelés « prove, » pains des prébendiers, à chaque commune [44]. * * * 13 février. (Primula polyantha.) Sainte Catherine de Ricci: sainte Euphrosine. D'après la chronique de Despars on appelait le 13 février 1361 le « mercredi froid » ou « koude woensdag, » à cause du froid excessif de ce jour [45]. Pour la même raison les Malinois donnèrent ce nom au 20 janvier 1361 [46]. * * * 14 février. (Crocus Moesiacus.) Saint Valentin, patron de trois églises. Ce jour, qui en Angleterre est le jour de fête par excellence de la jeunesse et des amants, n'offre point de particularités en Belgique. A peine si le dicton populaire « Loop voor Sint-Velten, » va à Saint-Valentin, rappelle encore le temps, où l'on invoquait ce saint comme patron contre l'épilepsie, en expliquant son nom par « valt heen, » il tombe [47]. * * * 15 février. (Crocus sulphureus.) Saint Faustin; saint Sévère. Le samedi qui précède le mardi gras s'appelle à Bruges « vrouwken zaterdag, » samedi des femmes. En revanche les jours qui le suivent portent, à Bruges, le nom de : « mannekens zondag, » dimanche de hommes, « meisjens maendag, » lundi des filles, et « knechtjen dinsdag,» mardi des garçons, dénominations qui, à l'instar de celle du samedi des femmes, ont leur origine dans l'usage de « thomassen, » c'est-à-dire d'enfermer tour-à-tour les personnes dont le jour port le nom, afin d'en obtenir un régal. Les hommes offrent ordinairement du « flips, » boisson bien connue, faite de bière, de sucre et d'oeufs, - les femmes du café ou du chocolat avec des gâteaux aux corinthes. A Courtrai, où le même usage existe, les quatre jours avant le carême s'appellent « wyvekens-zaturdag, mannekens-zondag, meiskens-maendag » et « knechtjens dingsdag. » A Eecloo et à Furnes on ne connaît que le samedi des femmes, appelé à Eecloo « Vrouwkens zaturdag, » à Furnes « wyvekens zaturdag, » et à Eecloo ce jour donne lieu à des réjouissances toutes particulières. Toutes les femmes mariées se réunissent à deux heures de relevée pour prendre du café avec du « koekkebak, » et pour jouer aux cartes. Ce n'est qu'à huit heures du soir que les maris sont admis. Alors on prend du genièvre brûlé, on chante et on danse des rondes qui se continuent encore quelque temps dans les rues, puis on quitte le lieu de réunion, pour retourner chez soi. * * * 16 février. (Primula acaulis plena.) Sainte Julienne; saint Onésime. Les trois jours qui précèdent le commencement du carême sont en Belgique les vrais jours du carnaval. Les flamands les appellent « vette dagen, » jours gras, bien qu'à Furnes on ne connaisse que « de vette zondag » et « de vette maendag, » - le nom bien répandu de mardi gras ou « vette dinsdag » n'y étant pas en usage. A Gand on nomme le lundi « zotten maendag, » lundi des fous, nom qui dans les environs de Termonde est synonyme de lundi perdu. La dénomination de « vastenavond » veille du carême, ne désigne pas seulement, comme le nom semble l'indiquer, le mardi gras, autrement dit « carême-prenant, » mais encore, à l'instar de carême-prenant, les trois derniers jours du carnaval et quelquefois même toute la semaine avant carême, appelée aussi en flamand « duivelsweek, » semaine du diable. Toutefois pour distinguer les jours, on dit « eerste vastenavonddag, etc. » Quant au nom de « Carnaval » qui en plusieurs pays désigne tout le temps des divertissements qui précède le carême, à partir de l'Épiphanie ou même du jour de saint Étienne, il tire son origine, d'après l'opinion la plus généralement admise, des mots latins : « Carni vale dicere,» dire adieu à la chair. Quelques auteurs allemands l'expliquent par « carrus navalis, » char naval, en le rattachant à la coutume assez répandue au moyen-âge, de promener, durant le carnaval, un navire placé sur des roues. D'autres encore le mettent en rapport avec l'ancienne expression de « karn varn » conduire les chars, employée chez les Germains païens pour désigner les cortèges des idoles qu'on organisait vers le commencement du printemps [48]. Ce qui est certain c'est que l'usage des réjouissances du carnaval ou « vastenavond » remonte en Belgique à une haute antiquité. A Anvers, depuis le commencement du XVe siècle, les membres du magistrat se réunissaient annuellement durant les jours de carnaval, en permanence, dans une auberge de l'une ou de l'autre des rues les plus fréquentées. En 1404, entre autres, c'était au Lys (Lelie) dans la « Cammerstraet,» rue où encore aujourd'hui le cortége passe annuellement, que les membres du magistrat veillaient à l'exécution des lois en buvant ensemble du vin [49]. A Diest le mardi gras de l'an 1450 est marqué par le nom de « papen vastelavond, » vastenavond des prêtres, parce qu'alors on nommait par respect souvent les prêtres « papen [50]. » A Malines le magistrat se vit déjà en 1470 dans la nécessité de mettre fin aux désordres occasionnés par les mascarades du carnaval en défendant, sous peine d'amende, de se masquer et de se déguiser les jours de « vastenavond [51]. » Mais les joutes à la lance ou « steekspelen » qui avaient lieu sur la grande place le mardi gras ou le dimanche suivant, n'en étaient pas moins brillantes. C'est surtout de celles de 1517, que les chroniqueurs parlent avec beaucoup d'éloges. Deux cents jouteurs y prirent part, et l'empereur Maximilien II, en fut spectateur. La joute de 1514 fut honorée de la présence du jeune prince Charles, plus tard Charles V, qui, accompagné de sa mère et de ses sœurs, se rendit au « Swaen, » cygne, hôtel situé alors sur la grande place, pour y admirer les jeux et assister au banquet que le magistrat lui offrit [52]. A Namur le carnaval donnait lieu au célèbre « combat des échasses; » ce jeu vraiment national, qui faisait la joie et l'orgueil de la jeunesse namuroise, se trouve mentionné dès les premières années du XVe siècle. Les nombreux champions étaient divisés en deux partis, celui des « Mélans » et celui des « Avresses. » Les premiers, représentant l'ancienne ville, telle qu'elle existait avant son dernier agrandissement, portaient pour couleurs or et sable. Les seconds, recrutés dans les faubourgs et dans la partie de la cité comprise entre le troisième et le quatrième mur d'enceinte, portaient des cocardes rouges et blanches. Chaque parti avait son capitaine et son « alfer » ou porte-étendard; il se composait d'un nombre indéterminé de brigades. Chacune de celles-ci, commandée par un brigadier et un sous-brigadier, comprenait cinquante à cent combattants, plus un nombre de « souteneurs » c'est-à-dire de camarades apostés pour les maintenir sur leur fragile monture et les remplacer si une chute les mettait hors d'état de courir à de nouveaux dangers. Ces brigades ont atteint parfois le nombre de douze de chaque côté, ce qui formerait un total de quinze cents à deux mille combattants. Plusieurs corps de métiers avaient des brigades qui portaient leur nom; d'autres fois, c'était le quartier qui constituait entre les différents corps la ligne de démarcation. Parmi les a Mélans » on comptait : « la brigade des Porte-faix; » - celle des « Bouchers » coiffée de bonnets à poil; - celle des « Soubises » recrutés dans la rue de la Croix et qui portaient une casquette de fer blanc ornée d'une grenade, rouge pour les simples échasseurs, d'argent pour le brigadier; - celle des « Grenadiers noirs » fournie par la place du Pied-du-Château et le quartier environnant; - celle des « Bateliers; » - celle de la « Plume » composée des avocats, procureurs et notaires; ces champions portaient la veste noire, la culotte blanche et le chapeau à cornes orné d'une plume dorée en guise de plumet; - celle des brasseurs appelée vulgairement la « maison du roi, » parce que ceux qui la composaient occupaient les postes d'honneur, portaient les culottes de satin rouge et le chapeau rond avec panache; leurs chefs avaient, selon leur grade, une écharpe d'or ou d'argent aussi les accusait-on ordinairement d'aimer mieux parader que combattre; - enfin, celle des « Racasseux » formée de vétérans que l'on réservait pour les occasions décisives. Parmi les faubourgs un seul tenait parti avec les « Mélans, » c'était le faubourg du « Val Saint-Georges, » dit aujourd'hui les Trieux de Salzinnes, qui formait la brigade des « Briqueteurs. » Du côté des « Avresses, » on comptait les brigades des autres faubourgs, et notamment la brigade de « Jambes, » la plus forte du parti avec celles des « Tanneurs. » Cette dernière portait culottes blanches, veste et « hosettes » rouges. Puis venaient: la brigade du prince de Ligne » formée par la rue du Pont-Spulard ; - celle des « Tailleurs de pierre; » - celle des « Écossais, » autrement dits Montagnards » hors de la porte Saint-Nicolas, vêtus de la manière qu'indique la première de ces dénominations; - celle de « Vedrin,» qui portait sur sa bannière la figure d'une vache, ce qui lui valut aussi la qualification de « brigade de la Vache, » enfin, celle de « l'Astalle, » composée des ouvriers bûcherons et autres travaillant au bois; elle se recrutait dans la rue Saint-Nicolas et tirait son nom de ce que, à défaut de plumets plus élégants, ces combattants portaient au chapeau un éclat de bois appelé en patois « astalle ». Les deux partis avaient aussi une brigade de « Cuirassiers » et une autre de « Hussards » ou « Grenadiers rouges, » ainsi appelés à cause de leur uniforme. L'échasse namuroise était longue de huit à neuf pieds; un patin y était fixé à environ trois pieds du sol, de manière que l'extrémité supérieure de l'échasse parvînt à la hauteur de l'épaule; les pieds posés sur les patins, le jouteur s'affermissait dans cette position en plaçant les mains dans l'espèce de garde qui se trouvait vers le haut de l'échasse. De même que les tournois du moyen âge, les combats d'échasses avaient leurs règles; s'en départir était chose déloyale. Ainsi, pour démonter un ennemi, on ne pouvait que pousser avec le coude et « pitter, » c'est-à-dire frapper du pied de l'échasse contre le pied de l'échasse de son adversaire. Quelquefois, échauffés par le combat, les champions demandaient le « boute-à-tot. » C'était là un duel à outrance oh il était permis de faire arme de tout, de frapper de la tête, des pieds, des poings, des échasses, etc., oh l'on pouvait, enfin, culbuter une brigade entière en « donnant l'avion, » c'est-à-dire en étendant une de ses échasses presque horizontalement au milieu de la mêlée, et eu renversant ainsi tous ceux qui se présentaient pour avancer dans cette direction. Le lieu ordinaire, du combat était la place Saint-Remy. Les brigades de « Mélans » arrivaient par le haut de cette place; celles des « Avresses, » par la porte Hoyout. Chaque parti était précédé de la brigade particulière du capitaine. La mêlée commençait et les combattants s'y jetaient avec tant d'acharnement, que le maréchal de Saxe qui en fut témoin en 1748, s'écria : « que si deux armées étaient, au moment de s'entrechoquer, animées au point qu'il avait vu cette jeunesse, ce ne serait plus une bataille, mais une boucherie affreuse. » Tant que le combat durait, les deux alfers, placés au balcon de l'hôtel de ville, faisaient alternativement flotter leur bannière lorsque la victoire semblait pencher vers leurs bataillons respectifs. Quand, après s'être entrechoqués pendant quelques heures, s'être repoussés, d'un côté, jusqu'au delà de la place Lillon, de l'autre, jusque dans les rues de Fer ou de Bruxelles, les deux partis se trouvaient harassés, l'un d'eux finissait par s'avouer vaincu. Alors, pour célébrer leur succès, les vainqueurs « levaient l'échasse,» c'est-à-dire sautillaient sur une échasse en soulevant l'autre de la main droite. Enfin les tambours et les fifres jouaient une marche victorieuse, et la troupe entière « reppait, » ou, en d'autres termes, dansait entraînant fortement le pied de l'échasse sur le pavé. L'une des plus célèbres joutes à échasses eut lieu le dernier jour du carnaval de l'an 1669. Elle a inspiré au baron de Walef un poème en quatre chants qui a été réimprimé à diverses reprises. Dans la seconde moitié du XVIIIme siècle, le magistrat, qui ne voyait dans ce jeu qu'une source de querelles et de blessures, et qui depuis longtemps cherchait à le faire disparaître, ne l'autorisa plus qu'à des intervalles de moins en moins rapprochés, et finit même par le proscrire entièrement. Bientôt éclata la révolution brabançonne, puis arriva l'invasion française, et le jeu des échasses tomba comme une foule d'autres vieilles institutions. Néanmoins l'amusement favori des Namurois ne disparut pas subitement. A l'époque de l'empire, trois brigades parvinrent à se reconstituer. Les porte-faix, derniers restes des Mélans, prirent le nom de « bleus, » à cause de la couleur qui dominait dans leur costume; les tanneurs, qui représentaient les Avresses, s'appelèrent « Nankinets, » par allusion à l'étoffe dont leurs vêtements étaient confectionnés. Ces deux brigades formaient un total d'environ cent cinquante hommes vêtus d'une espèce de traban, d'une veste serrée et d'un large pantalon. La troisième brigade, aussi faible que les précédentes, prit le nom de « Hussards. » Le 3 août 1803, lors de l'arrivée de Buonaparte à Namur, ces brigades donnèrent une joute à laquelle le premier consul prit un assez médiocre intérêt. Enfin un autre combat, où le nombre des champions était encore diminué, eut lieu le 26 septembre 1814, pour célébrer l'entrée de Guillaume d'Orange à Namur. Ce fut le dernier. Depuis cette époque on n'a vu, à deux ou trois reprises, qu'une petite troupe de gens montés sur des échasses défiler fort tranquillement dans quelques occasions solennelles. Encore un demi-siècle, et on aurait oublié jusqu'au nom de cette fête nationale, si M. Jules Borgnet [53], le savant archiviste de Namur, n'en avait conservé le souvenir par son excellent Mémoire, auquel nous avons emprunté les détails donnés ci-dessus. A Ypres il était autrefois d'usage de promener à l'époque du carnaval la famille des géants pour augmenter encore la réjouissance générale. Ces géants, qui jouent un si grand rôle dans les divertissements des villes belges, appartiennent à des temps très-reculés. On en trouve dans presque toutes les villes et même dans quelques villages du Brabant et des Flandres, et partout, en les conduisant, on chante avec plus ou moins de variantes une chanson particulière, dite le « Reuze lied, » chant du Reuze, dont voici la variante telle qu'elle se chante à Ypres: Als de groote klokke luidt, De klokke luidt, De reuze komt uit, Keer u eens 0m, reusjen, reusjen, Keer u eens om Gy schoone blom [54]. Moeder zet den pot op't vier, Den pot op't vier, De reuze is hier, Keer u eens om, reusjen, etc. Moeder geef den kaffépot, Den kaffépot, De reuze is zot, Keer u eens om, etc. Moeder geef hem 'nen boterham, 'Nen boterham, De reuze is gram, Keer u eens om, etc. En al die zeggen dat reusjen komt, Dat reusjen komt, Die liegen er om, Keer u eens om, reusjen, etc [55]. Quelques écrivains pensent, dit M. de Coussemaker, que la chanson et la cérémonie se rattachent à des souvenirs scandinaves. On trouve divers passages dans l'Edda, où il est question des guerres entre les Reuzes ou Iotes et les Ases ou Guds. Les Reuzes qui, suivant certains auteurs, n'étaient autres que les Finois, avaient fait à plusieurs reprises des tentatives d'invasion sur le territoire occupé par les Ases. Ceux-ci avaient fini par les repousser dans les déserts. De là une antipathie de race qui paraît avoir survécu chez les descendants des Ases, les Saxons et les Flamands-Saxons. Le Reus était pour le peuple le représentant d'un ennemi. C'est ce qui explique l'aversion exprimée contre les Reuzes, dans cette variante du Reuzelied, rapportée dans Willems [56] Die zeit : wy zyn van reuzen gekomen, Zy liegen daerom.] Ceux qui disent : nous descendons des Reuzes, en ont menti [57]. Mais le cours des siècles a fait oublier cette haine traditionnelle, et d'ennemis les géants sont devenus les favoris du peuple. On aime ces images grotesques, on en parle avec un enthousiasme tout patriotique et on les regarde avec un plaisir inépuisable. Aussi plusieurs villes ont-elles conservé l'habitude de montrer chaque année sous des noms, des formes ou des costumes différents, leurs énormes mannequins d'osier dont les physionomies ont chaque fois encore excité la curiosité publique. Les géants les plus célèbres sont ceux d'Anvers et de Wetteren. Sa moeder, zet den pot op 't vier! de reus is hier. Keert u eens om, reusken, reusken, Keert u eens om, reuzeblom! Sa moeder, snydt 'nen boterham ! de reus is gram. Keert u eens om, reusken, reusken! Keert u eens om, reuzeblom! Sa moeder, tapt van 't beste bier! de reus is gier. Keert u eens om, reusken, reusken! Keert u eens om, reuzeblom! Sa moeder, stopt nu maer het vat ! de reus is zat. Keert u eens om, reusken, reusken ! Keert u eens om, reuzeblom! *

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