dimanche 18 novembre 2012

Sorciers et sorcières, en la Belgique et alentours d'autrefois

L'Arbre, de Pietro Ciafferi (1600-1654)
SORCIERS ET SORCIERES DANS LA BELGIQUE D’AUTREFOIS ET ALENTOURS Extrait de ESSAI HISTORIQUE SUR LES USAGES , LES CROYANCES , LES TRADITIONS, LES CÉRÉMONIES, ET PRATIQUES RELIGIEUSES ET CIVILES DES BELGES ANCIENS ET MODERNES. A.G.B. SCHAYES 1834 CHAPITRE XL Croyance à la magie et au pouvoir du diable ; date de la plus haute antiquité, parmi les Juifs , les premiers chrétiens et au moyen âge ; défenses des conciles et des capitulaires contre les pratiques de magie ; dans quel sens la magie y est proscrite. — Salle d'Innocent VIII qui ordonne des poursuites judiciaires et criminelles contre les sorciers ; premiers inquisiteurs en Allemagne et en Belgique pour crime de sorcellerie; le Malleus Maleficarum de Sprenger. — Bulles de Jules II, Alexandre VI, Léon X, Adrien VI et Clément VII contre la sorcellerie; les délateurs de sorciers récompensés par des indulgences et de l'argent; indices qui font reconnaître les sorcières et sorciers ; manière cruelle dont on procédait à l'égard des accusés; tortures qu'on leur faisait subir; preuves ridicules et absurdes de connexion avec le diable; peines sévères auxquelles on soumettait les accusés déclarés innocens; genre de supplices pour les sorciers; horreur qu'ils inspirent; les enfans obligés d'assister au supplice de leurs parens. — Nombre de sorciers brûlés au 16me siècle, en Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne; 900 sorciers, en Lorraine, brûllés en quinze ans de tems; condamnations pour sorcellerie en Espagne et dans les Pays-Bas ; les procédures pour sorcellerie combattues en premier lieu dans ce dernier pays. — Disquisitiones magicae , livre abominable du jésuite anversois Delrio; absurdités dont il est rempli et maux qu'il a produits; Jacques I, roi d'Angleterre, prend la défense du livre de Delrio. —L'université de Salamanque appelée école du diable, et pourquoi; l'Espagne, pays des sorciers; perruque de Philippe V; la princesse des Asturies ensorcelée par son tailleur; sorcier brûlé en Espagne pour avoir pondu des oeufs. — Sorciers brûlés au 17me et 18me siècle en France, en Pologne, en Allemagne et dans les pays de la religion réformée; ouvrages écrits au 17me siècle contre et pour la sorcellerie. — Histoire de la sorcellerie en Belgique au 17ème et 18ème siècle; exécutions à Gand, Rupelmonde, Harlebeeck; soixante-quatre sorciers et sorcières brûlés à Ruremonde en 1613 et cinquante à Douai; autres exécutions à Hoycke , Gand, Eestert, Liège, Stelin, etc; décision du conseil de Flandre sur la procédure pour sorcellerie. — Noueur d'aiguillette condamné à Gand en 1709. — Sorciers et sorcières en Belgique à la fin du 18ème et au commencement du 19ème siècle. — Sentence du conseil de Flandre en 1595 pour crime de sorcellerie, pièce inédite. La croyance à la magie et aux possessions diaboliques date de la plus haute antiquité. L'écriture défend de consulter le sort et les sorcières: il y est dit que Dieu frappa de mort Saül pour avoir consulté la Pythonisse ( 1 Parai. , c. 10 ). L'évangile est rempli d'histoires de possédés guéris par Jésus-Christ. Le plus connu de ces miracles est l'expulsion de 6000 diables du corps de deux possédés et leur entrée dans celui de 2000 cochons (1). Les légendes et les chroniques du moyen âge renferment une foule innombrable d'histoires de possédés. Nous n'aurions pas fini s'il fallait parler de tous les possédés de la Belgique dont fait mention la légende de presque chaque ville et village de cette contrée. On trouve dans l'histoire seule de l'image miraculeuse de la Vierge de Louvain par le très révér. VanderBuecken, Pléban de la grande église de cette ville, l'histoire de la guérison de 2l possédés. Nous ne parlerons donc que de la magie et de l'histoire des procès pour fait de sorcellerie. Par une loi de l'an 321 Constantin condamne les superstitions de magie qui nuisaient à la santé des hommes ou qui les portaient à l'incontinence ; mais il excuse toutes les pratiques employées pour la santé ou pour détourner la pluie ou la grêle. Les chrétiens désapprouvèrent cette loi comme n'étant pas assez sévère , et elle fut abrogée par l'empereur Léon dans la Novelle 65. Constance fit une loi qui condamnait à mort tout sorcier guérissant des maladies par des enchantemens ou par des amulettes (Amm. Marcel, lib. 16 et 19 ). Valentinien fit mourir une vieille femme qui dissipait les fièvres intermittentes par des paroles, et fit couper la tête à un jeune homme qui touchait un marbre et prononçait sept lettres de l'alphabet pour guérir du mal d'estomac ( id. lib. 29 ). Les autres lois portées contre les pratiques superstitieuses de la magie sont beaucoup plus indulgentes. Le concile de Laodicée, au 4ème siècle, excommunie les sorciers , astrologues et distributeurs d'amulettes ; le concile de Rome, sous Grégoire le Grand en 712, et celui d'Agde renouvelèrent cette condamnation. Les conciles d'Auxerre et de Reims blâment, quoique moins sévèrement, les pratiques de sorcellerie. Le premier concile d'Orléans condamne la divination par le sort des saints. Le concile de Narbonne alla plus loin et ordonna que les sorciers fussent fustigés et vendus. Charlemagne publia plusieurs édits capitulaires contre les sorciers, les devins , les enchanteurs, les noueurs d'aiguillette et les astrologues . Les premiers apôtres de la Belgique défendent aussi strictement aux Belges payens les pratiques superstitieuses de magie et de divination, comme nous avons déjà vu précédemment. Toutes les lois ecclésiastiques et civiles, à l'exception de celles de Constance, ne condamnent donc les pratiques de la magie que comme une superstition et non comme un crime capital. Il est étonnant que , pendant qu'on était si sévère à l'égard de ceux qu'on accusait d'hérésie , et souvent à tort, on n'ait considéré et puni les sorciers , jusqu'à la fin du 15me siècle, que comme des trompeurs et des charlatans , c'est-à-dire, de l'excommunication ou d'un simple emprisonnement de- trois jours. En Belgique les pratiques de magie n'encouraient même aucune punition. Seulement dans le Hainaut, les trésors qu'on pouvait prouver avoir été découverts de cette manière, étaient confisqués : « il est permis, disent les chartes du Hainaut, à chacun, sur et en son héritage, chercher et faire chercher argent et trésor caché, moyennant qu'il n'use pas d'un art défendu, comme enchanterie ni charmes. Le trésor trouvé par moyens semblables et illicites est confisqué au profit du seigneur. » ( art. 2 et 3 , chap. 129 ) Ce n'est que depuis la publication de la bulle d'Innocent VIII, en 1484 , qui ordonne la procédure pour sortilège , qu'on commença à considérer cette superstition comme un crime des plus graves. « C'est depuis l'époque de la publication de la bulle d'Innocent VIII , dit Scheltema , que l'accusation de sortilège et d'artifices diaboliques fut considérée devant la justice à l'égal de l'accusation d'assassinat, vol et autres causes criminelles. » Henri Institutor fut nommé par cette bulle inquisiteur pour l'Allemagne-Supérieure et Jean Sprenger pour la basse Allemagne ; on leur donna pour adjoints Jean Gremper , prêtre de Constance , et pour protecteur Albert de Bavière , Evêque de Strasbourg , homme généralement décrié pour son avarice , sa méchanceté et la corruption de ses mœurs. Ces inquisiteurs devaient prêcher contre les sorciers, et sévir corporellement et spirituellement contre eux. Sprenger écrivit un livre intitulé : Malleus maleficarum (le marteau des sorcières), où il prétend prouver l'existence de la magie par l'écriture et les pères, et démontrer que les procès pour sortilège sont de la plus grande nécessité pour la conservation du christianisme et du genre humain. Scheltema donne une analyse de cet ouvrage, curieux par la bizarrerie et le ridicule de ses argumens. C'est la femme que Sprenger y attaque principalement, comme étant plus que l'homme sous l'influence du diable II remonte à cet effet jusqu'à Eve corrompue par le serpent, et démontre a priori que notre mère commune à légué sa faiblesse à son sexe jusqu'au tems présent. On y voit la manière dont on procédait à l'égard des accusés ou accusées. Ils n'étaient pas libres de se choisir un défenseur, et si celui-ci défendait son client avec trop de chaleur , il devenait lui-même suspect et même coupable. L'accusé ou plutôt l'accusée ( l'auteur est toujours ennemi des femmes ) ne pouvait regarder ni même voir le juge , et devait être introduite à reculons dans la salle où siégeait le tribunal. Le juge devait avoir près de lui un vase d'eau bénite et du palmier, et avant de procéder, faire le signe de la croix afin d'annuler la puissance du vieux serpent, etc., etc. L'auteur se complait à décrire dans son latin et son style barbares et obscures , et cela avec la plus grande indifférence , tous les tourmens infligés aux sorciers, tels que décapitations, noyades , supplice du feu , etc. A l'indignation qu'on a éprouvée à cette lecture, succède la pitié et la dérision lorsque l'inquisiteur nous rapporte une foule de contes de magie plus ridicules les uns que les autres, les moyens employés par les sorcières pour se rendre invisibles, se transformer en chats, en loup-garrou, etc., pour exciter la pluie en remuant avec une petite baguette de l'eau contenue dans un trou fait en terre , etc., etc. Le pape Jules II ( un Médicis ! ) accorda à celui qui dénonceraient ou poursuivraient les magiciens les indulgences qui avaient été accordées anciennement aux Croisés. Alexandre VI, d'odieuse mémoire, Léon X , tout philosophe qu'il était , le vertueux Adrien VI et Clément VII portèrent aussi des bulles fulminantes contre la magie et les sorciers. On plaça dans les églises des boîtes pour recevoir les dénonciations, et on promit non seulement des récompenses spirituelles, mais encore des récompenses pécuniaires pour les dénonciateurs. Celui qui ne dénonçait pas un homme qu'il croyait magicien, devenait suspect lui-même. La dénonciation d'un seul homme, d'un ennemi personnel, suffisait pour plonger quelqu'un dans des cachots affreux, lui faire subir des tourmens horribles et souvent le supplice le plus effroyable! On ne considérait nullement la moralité ou la réputation dans le dénonciateur : un voleur, un assassin , un scélérat coupable des crimes les plus énormes était reçu en témoignage comme l'homme le plus honnête! Les dépositions faites à l'article de la mort in articula mortis étaient surtout du plus grand poids. On fit accroire au peuple que tous les malheurs et toutes les calamités dont l'Ecriture menace le genre humain ne seraient produites que par l'effet de la magie. Des yeux châssieux , une bosse ou la courbure du corps causée par le grand âge étaient des signes de culpabilité chez les accusés. L'accusé tentait-il de fuir ou de se défendre au moment où on venait l'arrêter, marque de culpabilité; montrait-il de la crainte, autre marque de conviction ; avait-il un air d'assurance, c'était le diable qui l'encourageait. Au moment où on arrêtait un prétendu sorcier, on le levait de dessus la terre, pour détruire la puissance du diable : on lui coupait ensuite les ongles et on lui rasait tous les poils du corps, parce que c'était là qu'étaient contenus les charmes. On examinait s'il n'avait pas sur le corps quelque signe ou marque imprimé par le diable ( stigma diabolicum ). Observait-on quelque tâche semblable, on y enfonçait une aiguille , et si le patient ne montrait aucun signe de douleur , alors on n'avait plus aucun doute sur son pacte avec le démon. On refusait à l'accusé , pendant l'instruction de son procès , le moindre allégement ou consolation. Personne de ses parens ne pouvait l'approcher , et il était même défendu de prier pour lui comme ennemi de Dieu et indigne de cette faveur. L'interrogatoire suivait de très près l'arrestation, de peur que le diable n'eût le tems de se concerter avec son adepte. On adressait au coupable treize questions principales : Quel serment il avait fait au Diable ? De quelle manière et avec quelles cérémonies il avait fait ce serment? Quelles étaient leurs promesses réciproques, de lui et du Diable? De quelle manière il s'était rendu au sabbat, si c'était à pied ou à travers les airs ? Quel était l'onguent que lui avait donné le démon pour se frotter le corps et se rendre invisible? A quel endroit du corps il l'avait appliqué? Quel moyen il employait pour jeter un maléfice sur les hommes , les fruits et les bestiaux ? Combien de personnes se trouvaient au sabbat lorsqu'il y avait été? Dans quel lieu se tenait le sabbat ? Ce qu'on y faisait etc , etc. Les juges n'avaient pas honte d'employer toutes les subtilités et les questions captieuses qui pussent perdre l'accusé ; un d'eux alla jusqu'à avoir l'effronterie de se vanter que si le Pape lui-même lui tombait sous la griffe, il se faisait fort de le faire déclarer magicien. Si l'accusé n'avait rien avoué dans l'interrogatoire, ou si son crime ne paraissait pas assez avéré, on l'appliquait à la torture ou on le soumettait à l'épreuve de l'eau froide. Les tortures appliquées aux personnes accusées pour sorcellerie étaient beaucoup plus cruelles et duraient beau coup plus de tems que celles qu'on faisait subir aux meurtriers , aux incendiaires ou aux hommes prévenus des crimes les plus énormes. Voici la manière ordinaire usitée en cette occasion : après avoir exorcisé l'accusé, on le liait sur le chevalet, et on lui attachait sur le corps nombre de reliques et d'objets sacrés ; puis on lui faisait vider une coupe de vin aigre appelée la santé de St. Jean ( Johannes zegen ); on lui ordonnait de cracher le diable et de répandre des larmes ( ce qu'un sorcier ne pouvait faire) ; ensuite on lui faisait subir successivement tous les tourmens imaginables. On se servait surtout de la flagellation : les verges étaient trempées préalablement dans de l'eau bénite et le dos du patient frotté de sel bénit et lavé avec de l'eau bénite ; le tout pour détruire le pouvoir du diable et son obstination à se taire ( taciturnitas diaboli ). L'accusé n'avouait-il rien , c'était l'esprit malin qui lui imposait silence ; la force des tourmens le faisait-elle faiblir , sommeil du diable ou de sorcier ; jetait-il ses regards au tour de lui , il cherchait son maître ; mourrait-il au milieu des tourmens, c'était le diable qui, par pitié , l'était venu délivrer. Pour toute autre accusation que pour celle de magie, le tems que devait durer la torture était fixé ; ici on le prolongeait à volonté : quelquefois l'accusé était appliqué à la question jusqu'à vingt reprises ; ce que le jésuite Delrio ose encore qualifier du nom de grâce. « On torture en Flandre le patient, dit Damhouder, aussi souvent et aussi longtems qu'il ait avoué le fait. » Dans un procès pour sortilège il est fait mention d'une torture qui dura dix-huit heures ; aussi le patient mourut-il au bout ce tems. Est-il possible , d'après tout ce que nous venons de dire, qu'une vieille femme accablée par 1’âge et par les infirmités , et c'était presque toujours des personnes de cette espèce qui paraissaient sur le banc des accusés , ait pu soutenir un supplice aussi effroyable sans s'avouer coupable ? Doit-on s'étonner que le délire d'une fièvre brûlante, causée par la force des douleurs , lui ait fait dire les choses les plus absurdes et les plus ridicules, comme d'avoir eu commerce avec le diable transformé en jeune garçon ou en jeune fille ; d'avoir contracté avec lui par acte écrit avec du sang, en mangeant avec lui une pomme , ou en en recevant pour gage une pièce d'argent qui se changeait ensuite en un figue pourrie; d'avoir eu commerce avec le diable au sabbat sous la forme d'un bouc; d'avoir été changée en loup-garrou , chat , chauve-souris , corbeau , puce , et d'avoir voyagé ou traversé l'air sur un manche à balai ; d'avoir été en Angleterre dans une écaille de moule ou une coque d'œuf, etc. , etc.? On ne doit point trouver étranges de pareilles déclarations dont on connaît la cause, mais on devrait être d'autant plus étonné que de pareilles absurdités aient servi de motif à des condamnations capitales, et aient conduit des milliers de personnes à un supplice affreux, si les juges et les inquisiteurs, n'avaient été des hommes en qui le fanatisme et la crédulité religieuse avaient éteint toute raison. Pierre Binsfeldius , chanoine de Trèves , a écrit un gros ouvrage où il traite amplement et sérieusement de toutes ces absurdités. Thomasius rapporte la déclaration d'un sorcier qui avait été au Ciel où il avait dansé avec St. Pierre! Scheltema et Cannaert mentionnent plusieurs condamnations qui ont eu lieu dans la Belgique au 16me siècle , basées sur des déclarations de ce genre. Nous donnerons à la fin de ce chapitre une sentence semblable, pièce inédite des plus curieuses, prononcée en 1595 par le conseil de Flandre. Peu importe que l'accusé eut été en délire en faisant sa déclaration : la révocation ne lui était pas permise. On l'appliquait en outre à la torture pour lui faire déclarer ses prétendus complices. Un simple signe de tête affirmatif aux noms des personnes suspectes qu'on lui citait, suffisait pour augmenter le nombre des accusés. L'accusé était-il par hasard acquitté , il n'en était pas moins soumis à de longues et pénibles pénitences, et continuait à être diffamé dans la société et regardé comme véritable sorcier. Continuait-il à être retenu en prison pour ne pas avoir été jugé assez innocent, ou parce que le procès restait en suspens, les ecclésiastiques le traitaient en excommunié et lui refusaient toute consolation religieuse. La peine capitale pour ceux condamnés pour cause de magie était ordinairement le supplice du feu. Les femmes depuis l'ordonnance de Charles V, de l'an 1539, étaient enterrées tout vives. L'horreur qu'inspirait une malheureuse victime du fanatisme religieux et de l'ignorance, était telle que les aides du bourreau n'osaient pas même la toucher, mais la traînaient à l'échafaud avec des crocs. De grandes cérémonies religieuses et expiatoires précédaient et accompagnaient ces autodafé. On avait quelquefois la cruauté, tant la superstition endurcit le cœur ! d'obliger les enfans à assister au supplice de leur père ou mère, afin de les détourner ou de les corriger, par cet exemple, du crime de magie que leur auraient pu avoir inculqué leurs parens. Il y a des procès où les juges opinèrent pour faire mourir les enfans du condamné, comme étant de lignée diabolique ( duyvels-gebroed ). Angelo Cumano , inquisiteur à Vérone sous Innocent VIII, se vanta d'avoir fait brûler quarante-une sorcières la première année de son ministère en 1485. Un autre inquisiteur Italien, sous Alexandre VI, s'étant glorifié d'en avoir fait rôtir cent, le peuple indigné mit en pièces cet infâme successeur des Apôtres. Dans une ville de Savoye on compta en un an de tems plus de quatre-vingt victimes. En 1554 on poursuivit à Rome, comme sorciers et sorcières, les Juifs et les femmes publiques ; on prétend que ce n'était que dans le but de leur extorquer de l'argent. Sous François I plus de cent mille personnes furent condamnées en France pour sorcellerie et hérésie. Sous François II, Charles IX et Henri III le nombre des victimes fut encore plus considérable ( Scheltema p. 106-107 et Garnier, Hist. de la Magie en France ). En Angleterre, sous la reine Marie, et en Ecosse , sous le règne de Marie Stuart, nombre de sorciers et sorcières furent condamnés à mort. Pas seulement chez les catholiques, mais encore parmi les Protestans qui se prétendaient plus éclairé» , mais étaient alors tout aussi fanatiques , témoins Henri VIII, Calvin , les Iconoclastes , le synode de Dort etc. , parmi les protestans , dis-je , et sous le règne d'Elisabeth, reine d'Angleterre , il n'y avait point d'année, qu'il n'y eut plusieurs personnes brûlées pour fait de magie. On peut citer à cet égard le célèbre procès instruit à Warbois , comme ce qu'il y a de plus cruel et de plus extravagant en ce genre. En Allemagne, à ce qu'assure Fermer, à la fin du quinzième et au commencement du seizième siècle, il n'y eut pas d'année qu'on ne vit brûler plusieurs centaines de magiciens; Nicolas Bemigius, conseiller privé du Duc de Lorraine et accusateur public pour affaires criminelles, assura dans son ouvrage sur la sorcellerie, intitulé Daemonolatri , que dans ce Duché , en quinze ans de tems, près de neuf cent sorcières furent condamnées à mort, que quinze autres accusées se tuèrent par la crainte des tortures, et que plus de huit cent se soustrairent à son tribunal par la fuite. On n'a pas besoin de dire qu'en Espagne, terre classique de la superstition , les procès de ce genre ne le cédèrent en nombre ni en absurdité à ceux d'aucune autre contrée d'Europe. L'histoire de l'inquisition par le célèbre Lhorente est assez connue et assez répandue pour que nous n'ayons pas besoin d'entrer dans des détails à cet égard. Dans les Pays-Bas, elles peuvent s'en vanter, les procès pour sorcellerie commencèrent plus tard, et furent moins nombreux qu'ailleurs au I6ème siècle. La première condamnation de ce genre est celle d'une femme brûlée en 1517 à Oosterhout dans le Brabant Septentrional. C'est encore dans les Pays-Bas qu'on attaqua le premier ces abus : Erasme en démontra d'abord le ridicule dans ses Epitres, ses Colloques et son Eloge de la Folie ; en 1512 parut à Gand un petit livre de Incubis et Succubis ( avec figures en bois ), qui attaqua vivement le Malleus Maleficarum. Deux pièces jouées par les Rhétoricens de Flandre, et intitulées , l'une la Farce d'Homulus ( de Klucht van Homulus ) , l'autre Hanske van der Schelde , et un petit ouvrage écrit 1559 par un prêtre respectable, Jacques Vallick , curé de Grossen , ridiculisèrent également cette superstition. Mais le premier qui attaqua d'une manière sérieuse et raisonnée tout ce qui regarde les procédures pour sortilège , fut Jean Wier (né à Grave en 1515 et mort en 1587 ) , qui écrivit à cet effet deux ouvrages sous le titre : de Venificis et sagis. De prœstigiis dœmonum et incantationibus et venificis. Le célèbre philosophe français J. Bodin combattit cet ouvrage dans sa Dœmonomia Hagorum publiée en 1579. Cornel. Loos de Gouda écrivit vers 1591 un livre : De vera et falsa Magiâ, dans les principes de Jean Wier; ce qui le fit emprisonner à l'abbaye de St. Maximin de Trèves et lui aurait coûté la vie s'il ne se fut rétracté. Il fut encore dans la suite emprisonné deux fois à Bruxelles pour avoir soutenu les mêmes opinions. La mort le préserva, en 1599, d'un troisième emprisonnement dont il était menacé , et qui cette fois aurait pu lui devenir plus funeste encore ; la persécution , les fers et la mort ont été de tout tems les argumens favoris des ennemis de la lumière et de la raison. Si les Pays-Bas eurent la gloire de produire plusieurs illustres écrivains qui prirent la défense du bons sens, elles eurent d'un autre côté la honte de voir mettre au jour, en 1599, par un Jésuite Anversois, l'infâme Delrio , un ouvrage abominable , plus digne cent fois d'être brûlé par la main du bourreau que les ouvrages dangereux des philosophes modernes. Dans cet ouvrage, ou plutôt ce méprisable libelle , intitulé disquisitiones magicœ, ce jésuite attaque de la manière la plus dégoûtante le vénérable Wier , soutient et défend le Malleus et tout ce qui jamais avait été dit de plus absurde sur les sorciers. Il prétend même « qu'auhourd'hui, c'est-à-dire de son tems, la sorcellerie doit être poursuivie plus sévèrement qu'auparavant, parce que la magie est actuellement, en connexion avec l'hérésie , et que le diable est entré dans le corps des hérétiques, comme jadis dans celui des Idoles. » Ailleurs il dit: «Que les diables abandonnèrent les possédés en Brabant la veille de l'enterrement de Luther et se rendirent tous en Allemagne pour assister en corps à ses funérailles. » Je ne vis jamais ce livre sans frissonner , dit le savant Scheltema. Il n'en est pas, qui, après le Malleus ait eu des résultats si déplorables pour le genre humain. Les procédures pour magie introduits en Europe après 1602 ont la plupart pour base principale les affreuses sentences qui y sont soutenues. » ( p. 179 ). En effet quoique les édits de Charles V , en 1539 , et de Philippe II , en 1570 , ordonnent de poursuivre sévèrement les sorciers, les condamnations pour cause de sorcellerie furent beaucoup plus nombreuses en Europe, au 17ème siècle , qu'an 16ème». C'est cependant sous le gouvernement si vanté d'Albert et d'Isabelle que Delrio osa publier son livre exécrable , et ces sages souverains , pendant qu'ils laissèrent subsister les édits de leurs prédécesseurs qui punissaient de mort tout possesseur d'un livre hérétique, ne.firent point brûler cet infâme libelle, ni punir sévèrement son auteur ! Delrio, loin d'être poursuivi, trouva même un royal défenseur dans la personne de Jacques I , roi d'Angleterre ; car Regnier Scott ayant attaqué l'ouvrage de Delrio dans son livre intitulé , La découverte de la magie, fut combattu à son tour par Jacques 1er dans son absurde et ridicule Daemonologia, « livre qui serait depuis longtems oublié, dit Scheltema , s'il n'avait eu un Roi pour auteur , et sans les maux déplorables qu'il occasionna. » C'est le rang et non le talent de l'auteur qui valurent à son livre l'honneur d'une traduction latine et hollandaise, entreprise par deux prédicateurs protestans de Hollande. Le célèbre Voetius en fit 1’éloge, et Jacques reçut de plusieurs prédicateurs protestans du 17me siècle le titre glorieux de nouveau Salomon. Au 17ème siècle on donnait encore à Salamanque des leçons publiques sur la manière de découvrir les sorciers; ce qui valut à cette université le surnom d'école du Diable, de même que les nombreuses exécutions en Espagne pour le prétendu crime de sorcellerie, firent donner à ce royaume le titre de pays des sorciers. Philippe V, étant devenu chauve, demanda une perruque. La camarilla (composée d'ecclésiastiques et de courtisans ) refusa sa demanda, parce que la magie avait tant de pouvoir sur les cheveux. Elle finit cependant par accorder au puissant monarque des Espagnes et des deux Indes une perruque faite de cheveux de gentilhomme. (Sans doute que le malin esprit qui n'a pas seize quartiers de noblesse sympathise plus avec un vilain qu'avec un noble). On attribua à la magie la stérilité de la princesse des Asturies, femme du fils de ce roi, et on fit partout des recherches pour trouver le maléfice. Quand on eut découvert dans les manches des habits de cette princesse des petits morceaux de plomb marqués de deux clefs en sautoir , on ne douta plus que le tailleur ne fut le sorcier. L'inquisition empoigna en conséquence le pauvre diable, qui n'échappa au feu, que parce qu'il se trouva un savant qui prouva que ces clefs étaient les armes de la ville de Leide et la marque de ses draps. Voudrait-on croire qu'en 1783 on brûla encore dans ce royaume des ténèbres une sorcière accusée d'avoir pondu des œufs ( attribut de la sorcellerie ) ! L'instruction pour la procédure en magie, publiée à Rome en 1657, n'est pas moins terrible que celle contenue dans le Malleus Maleficarum. Au 17ème siècle en France on condamna fréquemment à mort de prétendus sorciers. En 1609 le parlement de Bordeaux condamna à mort plus de six-cent prétendus sorciers de la province de Labourd. On connaît la fin malheureuse et trop célèbre du curé Grandier. A Toulouse, qui semble toujours avoir été le siège de la superstition en France , plus de quarante personnes furent suppliciées en un an de tems pour la même cause. En 1664, Jean Pierre de Orenson, médecin d'Aix , fut pendu comme sorcier pour avoir fait une expérience sur l ' harmonie des sons. En 1670 le parlement de Rouen poursuivit cruellement les prétendus sorciers : il regarda presque chaque berger et paysan du territoire de la Haye du Puys comme livré au diable; et cela se passa dans le siècle de Louis XIV et au centre de la France ! Est-on en droit de blâmer, après cela, l'expression de Voltaire qui appelle ce siècle , un siècle de talents bien plus que de lumières ? Il est juste pourtant de dire que le parlement de Paris, dès la fin du 16ème siècle , refusa la plupart du tems de s'occuper de ces absurdités, et que Louis XIV ordonna en 1672 au parlement de Rouen d'élargir toutes les personnes détenues pour cause de magie. En 1791 le peuple assomma un prétendu sorcier, et en 1818 on entend encore parler de sorciers dans ce royaume. La Pologne, paradis des jésuites, vit au 17ème siècle une foule d'exécutions pour fait de sorcellerie. En 1730 un escamoteur fut pendu comme sorcier à Posen. En 1780 il y eut plusieurs procès de ce genre à Wiskove , dans la Waivodie de Gnese. Peu d'années auparavant deux femmes y furent brûlées pour la même cause et les habitans du village de Tscheweeme durent tous subir l’épreuve de l'eau. Cette superstition domina , comme nous avons dit, aussi longtems dans les états protestans que dans les états catholiques ; dans toute l'Allemagne , tant catholique que protestante , régna la même ardeur dans la poursuite des sorciers. Dans le petit comté d'Henneberg on exécuta en soixante-seize ans de tems cent quatre-vingt-dix-sept sorciers et sorcières. Dans la seigneurie de Lindheim, en Weteravie , peuplée de six cent habitans, on brûla de 1661 à 1666 trente personnes. En 1686 Chrétien, comte de Ranzow, fit brûler sur ses terres d'Holstein vingt sorcières. Dans l'évêché de Wurzbourg cent personnes subirent le même supplice de 1627 à 1629. Il en fut de même de cent cinquante-sept autres dans le diocèse de Paderborn en 1656 , et de cent dans l'évéché de Salzbourg en 1679. Un batelier d'Amsterdam, nommé Jean Jacobs, vit en 1658 au village de Naas sur le Rhin décapiter et brûler, en une matinée, vingt-quatre victimes condamnées pour sortilège. En 1659 six cent personnes subirent le supplice dans l'évêché de Bamberg pour ce prétendu crime, et neuf cent dans l'évêché de Bamberg. Herwan Loher , dans son ouvrage intitulé : Klage über die unschultigen wieder die falsen Sauberrichter, Amst. 1676, s'étonne que dans les grandes villes d'Allemagne on ne voyait pas dix condamnations capitales pour sorcellerie en un siècle, tandis que dans les terres seigneuriales et ecclésiastiques il y en avait annuellement cinquante, soixante, quatre-vingt et jusqu'à cent ( Scheltema : Geschied en letterkundig mengelwerk 4de deel 2dc stuk ). En 1749 on brûla encore une sorcière à Wurzbourg et une autre en 1750 à Quedlinbourg. De tous les états d'Allemagne c'est l'Autriche qui conserva le plus longtems cet abus atroce. En 1766 il y eut encore une exécution pour sortilège à Buchlae. Tournons maintenant nos regards vers les pays entièrement protestans. Nous lisons que dans la ville de Genève , terre classique du protestantisme , dans cette ville qui passe pour si éclairée, une femme fut brûlée comme sorcière, en 1603, après avoir subi des tortures inouies. L'année suivante une femme de quatre-vingt ans fut bannie pour la même cause. En 1660 un jongleur, nommé Brinche, fut pendu comme sorcier pour avoir fait jouer des marionnettes dans un endroit de la Suisse où on n'avait encore jamais vu rien de semblable. En 1782 une femme fut décapitée pour sorcellerie dans un des petits cantons, et en 1789 il y eut encore un procès de ce genre dans la même contrée. Nous avons déjà fait connaître Jacques I, roi d'Angleterre , comme fort entiché du préjugé de sorcellerie; il décréta peine de mort contre les sorciers, et confirma toutes les lois portées antérieurement contre eux. Sous ce roi imbécile et sous son successeur il y eut nombre de victimes conduites au bûcher" ; quelquefois dix et vingt à la fois dans un même comté. George II abrogea en 1736 les lois de Jacques I et de Marie Stuart sur la magie. En 1776 un médecin vétérinaire du Suffolk dut cependant encore subir l'épreuve de l'eau. En Danemark TychoBraché fut obligé de transférer son observatoire de Copenhague à l'île déserte de Ween, parce que les habitans de cette capitale le regardaient comme un instrument magique. Sous Charles Gustave, roi de Suède, un évêque d'Abo accusa un étudiant de pacte avec le diable , pour avoir appris trop de chose en un espace de tems qui semblait trop court. En 1670 soixante deux femmes et quinze enfans furent exécutés pour sorcellerie à Ellora et cinquante-six autres personnes soumises à de grandes peines corporelles. Ce ne fut qu'en 1779 que la peine de mort pour sorcellerie fut abrogée en Suède. En Hollande, malgré les écrits d'Erasme et de Wier, on n'en continua pas moins à faire des poursuites sévères contre les sorciers. Charles V accorda à la ville d'Oudewater un privilège singulier, par lequel il y aurait dans cette ville une balance pour peser ceux accusés de sortilège. Si l'accusé pesait au-delà du poids naturel, il était reconnu coupable ! Après la révolution de 1566 le protestantisme fanatique continua à persécuter les prétendus sorciers, comme l'avaient fait les inquisiteurs de Philippe H. En 1595 eurent lieu deux exécutions capitales pour sorcellerie à Amersfort. Un nommé Hans Pock fut pendu à Arnheim comme sorcier et loup-garou ; quatre sorciers et sorcières furent brûlés à Utrecht peu de tems après , et deux enfans, l'un de treize et l'autre de huit ans fouettés et condamnés à la réclusion. La sentence de condamnation des accusés les dit dûment convaincus de s'être transformés en chats et loups-garou ( Scheltema, p. 256 ). La dernière condamnation à mort pour magie en Hollande, fut celle d'une femme brûlée à Schoonhoven en 1597.On continua, après cette époque, à poursuivre les sorciers, mais les peines furent moins sévères. En 1601 et 1602 deux sorcières furent bannies de Zierikzee. En 1610 on instruisit deux procès pour sortilège, l'un à Schiedam, l'autre à Goerée. Dans ce dernier endroit Cats prit la défense de l'accusée et eut le bonheur de la sauver ; il en parle dans un de ses ouvrages, intitulé : Tachentigjaarig leven. (Daar rees om desen tyt, etc. ) où il ridiculise en même tems ce sot préjugé. Le clergé protestant, en 1618 et 1619, tems où le synode fanatique de Dort persécuta les hommes les plus illustres de la république, poursuivit vivement le ministre reformé Bekker , pour avoir attaqué le préjugé de magie. L'auteur déposé de sa chaire à Amsterdam , fut vivement regretté, et son ouvrage, malgré l'anathème du synode, produisit l'effet le plus salutaire en Allemagne et ailleurs. Parmi d'autres auteurs qui écrivirent dans le même esprit, il faut distinguer le jésuite Franç. Sprée ( 1645-1648) et Bayle. D'autres, tels que le célèbre théologien Voëtius, écrivirent dans un esprit contraire. Au 18me siècle on ne voit plus en Hollande de procès pour magie; mais en 1823 des paysans forcèrent encore une femme à se soumettre a l’épreuve de l'eau froide à Delden dans l'Overyssel! Parlons maintenant des procès pour sortilège dans la Belgique, dont nous aurions déjà dû traiter plutôt, si l'indignation que nous a inspirée la lecture de tant de forfaits commis au nom de la religion en même tems que l'importance d'une matière peu traitée en Français jusqu'aujourd'hui, ne nous eut engagé à nous écarter un peu du but de cet ouvrage. Nous avons déjà parlé des procès pour sortilège dans la Belgique au 16me siècle et de l'effet déplorable produit par le livre du jésuite Delrio au siècle suivant. Aussi jamais les procès pour sortilège ne furent si nombreux dans cette contrée que dans la première moitié du 17me siècle, et surtout sous l’excellent gouvernement de nos bons et pieux souverains Albert et Isabelle. Ainsi Cornelie Van Beverwyck fut brûlée à Gand en 1598 comme sorcière; Jean Vansteene de Waesmunster subit peu après le même sort à Rupelmonde. En 1603, deux femmes furent brûlées à Harlebeeck pour avoir mis, par sorcellerie, le feu à la tour de la cathédrale de Gand. On trouve dans l'ouvrage de Mr. Cannaert, déjà cité, les sentences de ces condamnations toutes plus ridicules les unes que les autres ( Bydragen tot het onde strafregt etc. bylagen 2dc deel ). En 1607 Marie Margot fut étranglée sur la place de Valenciennes, puis brûlée, pour s'être donnée au diable, comme sorcière, avoir retiré cinq fois de sa bouche l'hostie pour l'enterrer dans son jardin , et jeté un sort sur un enfant, un cheval et un poulain. En 1618 on brûla à Tournai, comme sorcière , Simone Doublet de Lille. (On peut voir les horribles détails de ce procès, qui doivent remplir d'indignation tous les honnêtes gens, dans les Archives hist. et littér. du nord de la France et du midi de la Belgique t. 1, p. 154 ). La même année on brûla à Ruremonde , soixante-quatre sorciers et sorcières pour avoir, par leurs maléfices, occasionné la mort de plus de mille personnes , de six mille animaux, et la destruction de nombre de champs de blé , de bois, de paturages, de vergers , etc. Un enfant fut le premier dénonciateur de ces scélerats, dont étaient chefs Entjen Gilles, surnommée la Princesse des sorcières , pour avoir été pendant trente trois ans en commerce avec le malin esprit, et maître Jean , chirurgien, surnommé le Port-étendard des sorciers. « Je le répète, dit Schellema après avoir rapporté les principales circonstances de ce procès, que parmi les procès pour sorcellerie que j'ai vus, excepté ceux de Wurzbourg, de Bamberg et de Mora, je n'en ai trouvé aucun qui contienne de plus grandes horreurs, et démontre une cruauté aussi froide et aussi atroce. » ( p. 242 ). Scheltema a oublié de parler de cette horrible exécution qui eut lieu à Douai vers le même tems que celle de Ruremonde, toujours sous le digne Albert. On y brûla cinquante prétendus sorciers et sorcières. Et on osera faire l'éloge du gouvernement de ce stupide prince-cardinal Albert, dont tout le talent consistait à marmotter des prières du matin au soir, à broder des robes à la Vierge, à fonder des couvens et à faire brûler des hérétiques et jusqu'a 114 sorciers et sorcières dans l'espace d'un an ! Qu'un autre admire la piété édifiante d'Isabelle, cette nonne-princesse , je ne la considère moi que comme une fanatique intolérante et inepte, comme la digne fille de l'exécrable Philippe II! En 1661 on brûla à Oycke ( Flandre ) Jean Vindevogel, capitaine d'une troupe de sorciers et de plus loup-garrou. En 1657, Mathieu Stoop subit le même supplice à Gand , comme sorcier et loup-garrou. En 1660 le conseil de Flandres décida que les procès pour sorcellerie ne pourraient être jugés devant les tribunaux ordinaires , qu'après l'avis préalable de trois ou de cinq avocats choisis parmi douze dos plus savans jurisconsultes , qui devaient être présens à la torture ; que le bourreau ne pourrait plus désormais faire l'épreuve du stigma diabolicum ( par la piqûre d'une aiguille ), mais qu'on prendrait les médecins les plus expérimentés de la contrée pour faire cette épreuve. L'avis de ces savans jurisconsultes ( mais qui ne prouvait point leur jugement ) , et l'épreuve des médecins expérimentés ( mais qui ne nous le paraissent guère ) firent condamner au feu en 1661, à Eestert ( Flandre ) , une pauvre sorcière nommée Josephine Labyns. Ce procès sur lequel Cannaert ( 2me édition p. 175 etc. ) donne des détails très intéressans, est un des plus ridicules et des plus absurdes dans la procédure pour magie. La force des tourmens fit déclarer à cette femme que le diable lui été apparu sous la forme d'un prêtre, et lui avait dit « Si tu veux aller avec moi et faire comme tu fais avec ton mari , je te donnerai de l'argent et du bien suffisamment pour vivre. » Elle accepta les conditions du malin esprit qui reçut de ses cheveux pour gage , et lui donna de son côté cinq sous de France. On pense bien qu'on ne fit aucune recherche pour découvrir lequel était ce diable , qui avait eu l'audace de se travestir ainsi sous la forme d'un saint personnage : la découverte aurait pu causer trop de scandale ; . mais on se dépêcha de faire promptement disparaître sa complice , la femme , qui aurait pu un beau jour découvrir le nom du diable adultère ; et puis , qui aurait osé jurer , que , par une nouvelle malice , le malin esprit n'eut pris forme et nom de quelque membre respectable du clergé de Flandre lui-même ? En 1681 eurent lieu deux exécutions pour sortilège à Melin dans le Hainaut. ( Voyez les nouvelles Archives Historiques du Bon de Eeiffenberg tom. 5 , p. 125 et suiv. ). En 1689 eut encore lieu une condamnation à mort à Marche en Famenne , pour fait semblable. Cependant on dut bien céder quelque chose aux progrès des lumières, et le nombre de ces procès devint bien moins considérable , et les condamnations furent moins sévères à la fin du 17me siècle , an grand regret cependant de la populace et de certaine classe de personnes si avide de ces spectacles publics , de ces autodafés faits pour la plus grande gloire de Dieu et le triomphe de la religion. La Flandre qui avait toujours été la province de la Belgique la plus zélée contre les sorciers et sorcières , fut aussi une des dernières à se relacher de sa sainte ferveur. Le croirait-on ? Encore en 1709 à Gand un sorcier fut condamné au fouet , au bannissement et à d'autres peines pour avoir empêché , par sortilége , qu'un homme ne put consommer son mariage ( autrement dit : pour avoir noué l'aiguillette ). On trouve la sentence de ce curieux procès dans l'ouvrage de Cannaert, déjà cité ; l'intérêt du sujet et sa date récente nous ont engagé à donner ici une traduction de cette pièce écrite originairement en Flamand. On jugera par là de l'état des lumières en Belgique au commencement du siècle dernier. FAUX EXORCISEUR ET NOUEUR D'AIGUILLETTE. En cause du promoteur de cette cour, demandeur causa officii d'une part, contre Macs à Huysse prisonnier , défendeur de l'autre part. Vu toutes les pièces de cette cause , notamment les preuves du demandeur , par lesquelles il constate que le défendeur a osé prétendre, depuis nombre d'années , guérir de sorcellerie et d'autres maux secrets les hommes et les bestiaux par des exorcismes superstitieux et en distribuant certains petits billets contenant quelques mots relatifs à Dieu ( Godt toeygende woorden ) et d'autres paroles inconnues et incompréhensibles avec diverses croix et qu'il a rendu par maléfice un homme nouvellement marié , mentionné dans le procès , incapable de remplir le devoir conjugal , jusqu'au point qu'accablé de désespoir , il aurait attenté à ses jours , si par le conseil de personnes religieuses , le signe du maléfice que l ' accusé avait placé dans la maison du dit marié n’en eut été ôté par lui et ses proches , et si par le secours de l'église il n'eut été , après un long espace de tems, délivré du dit maléfice ( sa famille ayant été dans le plus grand trouble et inquiétude ). De plus, que le défendeur , outre pareils exorcismes et sortilèges , s'est souvent engagé à faire retrouver l'argent perdu, et de cette manière a attiré à sa maison nombre de personnes des endroits les plus éloignés ; que le susdit défendeur à été regardé depuis longtems dans une grande partie du diocèse, comme un exorciseur public ( publiequen beleser ) , sorcier et expulseur du diable ( Waerseggher en duuveljaeger ) , et qu'au mépris de diverses exhortations , tant de son. curé que des curés voisins , il a continué dans cette conduite. Qu'en outre le défendeur n'a pas tenu ses pâques depuis quelques années , s'est enivré continuellement et a grandement méfait d'autres façons ( comme il est patent ) , au très grand mépris de Dieu tout-puissant, au scandale de notre religion , à la contemption des placarts de nos princes et des lois de l'église , et à la grande indignation des chrétiens ; le tout mûrement délibéré , de l'avis des jurisconsultes et après avoir invoqué le nom de Dieu. Condamnons le défendeur de comparaître au premier jour judiciaire dans le consistoire de cette cour, et d'y demander, à genoux devant le tribunal, humblement pardon à Dieu et à nous sur ce qui a été dit plus haut; d'être ensuite conduit par le bourreau à la grande porte de l'église par le tour ordinaire ( den ordinairen ommeganck ), vêtu d'une robe blanche, tenant à la main des verges et une torche allumée , et d'y offrir la susdite torche , après avoir fait sa prière. De là il sera reconduit à notre cour et fouetté au lieu ordinaire en présence du peuple ; ce qui étant fait, on le ramènera en prison où il jeûnera pendant quinze jours au pain et à l'eau , faisant une confession générale de ses péchés et s'approchant de la sainte table, si le confesseur le trouve convenable. De plus banissons le défendeur hors des limites de ce diocèse , avec défence d'y reparaître et de commettre désormais crimes semblables, sur peine de nouvel emprisonnement et d'être livré au bras séculier. Ordonnons de publier au prône et en flamand, cette sentence, les deux Dimanches prochains, dans l'église de St. Walburge à Audenaerde, à Pamele, Huysse, Auweghem, Heyne, Aspers, Syneghem, Cruyshautem, Nazareth, Mullem , Swynaerde, Eecke et le territoire de ce diocèse. Finalement condamnons le défendeur aux dépens du procès et aux frais de justice , nous en réservant l'estimation. Signé , F. Segers , officiai de Gand. Ainsi fait, publié et exécuté à la cour ecclésiastique de l'évêché de Gand ce 25 Septembre 1709. ( Signé ) J. B. Cloosterman. Au reste , nous ne devons pas si grandement nous étonner qu'au commencement du 18me siècle , on ait encore condamné quelqu'un pour le prétendu crime ridicule de sorcellerie. Nous étions encore alors sous le gouvernement de l'Espagnol, qui a laissé tant de traces de superstition et de bigoterie parmi nous. Cette condamnation n'est pas la dernière , et depuis il y en eut encore de plus sévères en Belgique: « naguère, dit Scheltema, vivait encore à Liège un vieil homme , qui dans sa jeunesse y avait vu exécuter une vieille femme accusée de sorcellerie.» En 1675 la cour souveraine de Liège , saisie d'un procès de sorcellerie contre Sulpice Silieux natif de Sursiège , avait cependant déjà déclaré libérer l'accusé , et ne plus vouloir s'occuper d'absurdités pareilles. En 1793 toute la Belgique a entendu parler de cette femme possédée par le diable, lequel, malgré tons les efforts de l'exorciseur , ne voulut pas déménager. Les républicains français ne trouvèrent d'autre moyens de vaincre son obstination, que de l'envoyer aux petites maisons. Si aujourd'hui, grâce à la. philosophie et au progrès des lumières , on ne brûle plus les sorciers, si même on n'exorcise plus les possédés , le préjugé n'en est pas moins reste enraciné chez la plupart de nos campagnards. Les curés au lieu de prêcher contre la danse, feraient mieux de désabuser les paysans de leur sotte crédulité. On ne verrait plus, comme dans ces dernières années , des paysans traduits devant les tribunaux pour avoir cruellement maltraité de prétendues sorcières ; moi-même , j'ai vu à Louvain , il y a une quinzaine d'années, une femme que la populace avait jetée dans le feu et presque brûlée pour avoir , disait-on , donné une maladie à un enfant par maléfice. Cette année encore ( 1833 ) toute la ville de Lierre a été en émoi par l'apparition d'une nouvelle bande de sorcières. Nous terminerons cet article par une sentence pour sorcellerie émanée du conseil de Flandre, pièce manuscrite extraite d'un livre intitulé Quoyers des dictums et sentences rendues au conseil en Flandre sur les différen» procès fiscaux intentés au conseil depuis l'an 1569 jusques et y compris l'an 1595, d'après une copie de Gérard , dans un Msc. de la bibliothèque royale de la Haye intitulé : Mélanges pour servir à l ' histoire des Pays-Bas depuis 1320 à 1788 in folio. Sentence du conseil de Flandre en 1595 portant condamnation à mort ( au feu ) d'une femme accusée de sortilège. Omme dieswille dat ghy Elisabeth Vlamincx filia Joos, geboren van Nieunove , huusvrouwe van Ghysbrecht Ghins oft zoo ghy anders ghenaemt oft ghebynaemt syt, u vervoordert hebt, verghetende Godt ende zyn heylige gheboden hem ende u gheloofve aftegaene ende gemeenschap te maeckne metten boosen vyandt by u ghenaempt Belzebulh, an den welckene ghy u voluntairelyck over drye zoo vier jaeren overghegeven hebt, ende van hem terstont ontfaen een lichteeken onder u slincke uxele by uwen wete ende gevoel, hebbendeden voorseyde vyandtten selven tyde gecropen op u lichaem met eenighe uwe declaratie, dat gny boven dien u van den zelven vyandt ten ininsten tweemael lichaemelyck hebt laeten voereo by nachten in den haseleren bosch te Pollaere , ende merckelyck de leste reyse een maendt ofle zes weken voor den oogst lestleden , alwaer ghy zoo voor als naer eten ghedanst ende in de loyneren ( lorneren?) gereyst hebt u zevenste , onder dewelke waeren diversche vrouwe persoonen , daer af als nu eenighe gexecuteert syn metten mere , ende zommighe u bedreghen hebben met SS uwen Belzebuth ende eenen anderen die ghy presumeert te zyn Tan ghelycken soorte, beide ghecleet met witte wanbeyen ende fransche broukilckens, alwaer ghy ghebrocht hebt in uwen schoot eenen couden hutzeput by u te vooren ghesuden ten huwen huyse ; laet dat erger es , hebt aldaer vallende op uwe kuyen den zelven Belzebuth anbeden ende by hem naer den dans an d'een zyde gctrocken zynde , hebt u van hem aldaer onbehoorlyck laeten handelen ende misbruycken. Van al twelke den hove ghebleken es , zoo by uwe confessien buyten torturen , als andersins omme ghenoegs wesende alle ongoddelycke execrable ende detestable zaecken van quade consequentie ende meriterende corporelle punitie andere ten exemple. Soo eyst dat t'hof rechtdoende , u condemneert op een schauffault op Ste. Pharahilde plaetsen gheexecuteért te werdene an eenen staecke metten viere , zoo datter de doot naervolghe , verclarende al u goet, zy leen , erve oft catheil, waer helne gestaen oft ghelegen es, verbeurt ende gheconfisqueert Sconings onse- gheducht heeren profyte , de uusen van justicie daer af voeren ghedaen duceert. Ghepronunceert den 26 December 1595.

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